Désir et contrôle primaire
Cathy BardLe contrôle primaire
Le contrôle primaire existe. Il est là, potentiel. Et il peut s’atteindre par différents moyens. Le but étant toujours le même, retrouver un bon fonctionnement, retrouver le contrôle primaire, il suffit de choisir ses moyens. Et ils sont nombreux. Alexander en a développé certains, ses successeurs en ont amplifié la gamme. Si certaines différences existent entre professeurs, il est clair que ce n’est pas sur le contrôle primaire, qui est un état de fait, mais sur les moyens pour y parvenir. Les moyens que nous allons choisir ou développer, vont dépendre pour chacun d’entre-nous de nos besoins propres, de notre histoire, de notre vécu... Certains professeurs parviennent au contrôle primaire en parlant de muscles, d’autres d’os, d’autres de support, d’espace, de perception ou de direction, ou de relation tête-cou-dos... Finalement ce que nous allons choisir au travers de ces moyens, c’est la façon de penser et de vivre la Technique Alexander. Dans quelle qualité d’être nous amènent les moyens utilisés? Ce que je propose de vous faire partager aujourd’hui, est l’un des aspect de mon travail, et une réflexion sur un facteur naturel qui stimule de façon inconsciente le bon fonctionnement du contrôle primaire.Je vous invite donc à aborder la Technique Alexander selon un principe de vie. Un principe de vie qui conditionne toute l’organisation de l’être. Ce principe de vie, c’est le désir. Si notre corps est dans le non- faire, et si nous avons un désir assez fort et déterminé, alors tout notre corps s’organise selon le contrôle primaire, instantanément. Et ceci sans observation, ni intervention consciente sur l’organisation de notre corps. Dans cette approche les moyens ne relèvent pas d’une observation ou d’une connaissance anatomique, ils sont en relation directe avec la réalité, avec l’instant de vie - Un besoin pour moi qui vient du théâtre, un choix sur la façon d’intégrer la technique Alexander au quotidien, dans chacun de mes actes. Dans la vie quotidienne ou sur scène, jouant un personnage, nous sommes dans l’action. Le musicien est avec sa musique. Nous sommes mus par un intérêt et non par l’observation de nous-mêmes. Le chat est prêt à bondir. Le corps souple, sans tensions, en éveil, perceptif, il attend. Tout son désir est dirigé vers sa proie. Il retarde le moment de bondir attendant la meilleure occasion. Son désir est toujours présent et fait comme un va-et-vient dans son corps. A l’instant où la proie devient accessible, le désir de bondir s’accroît, se libère dans un corps souple et entraîne le chat dans l’action. Le corps est le véhicule de l’action. Le désir (l’envie de) est le moteur de l’action. Avant de poursuivre, voici une petite précision sur l’essence du désir dont je parle. (Car tout être vivant a des désirs, qu’il soit encombré de tensions ou pas, que son organi-sation soit défectueuse ou pas). Dans la situation que nous envisageons le désir naît de l’intervention du "sujet désirant" et non pas du corps. Le désir ne produit aucune réponse musculaire volontaire. C’est une opération "chimique" qui se produit. Nous pourrions dire que le messager du désir est un agent "secret". On ne voit que le résultat, l’opération nous reste inconnue. Au moment précis où la force du désir (libéré de toutes tensions musculaires), organise l’être, la tête va vers l’avant et vers le haut, nous obtenons un alignement du dos, les jambes suivent, la tête guide...Nous retrouvons toutes les données de la technique Alexander. Mais ce n’est pas nous qui les mettons en place, c’est la qualité de notre désir qui le fait pour nous. La description du processus pourrait se résumer à ceci:
• Etre dans le laisser-faire (le professeur sert de guide par le toucher et par les conseils donnés). Laisser venir les images de ce que l’on voit dans nos yeux, laisser venir les sons dans nos oreilles, laisser le contact de ce que l’on touche s’établir...(Il s’agit de voir plutôt que de regarder, d’entendre plutôt que d’écouter, d’être en contact plutôt que de toucher). Plus la personne devient un être perceptif, en bonne relation avec le monde extérieur, plus son fonctionnement physique et psychique est libre de tensions.
• Inhiber les tendances les plus habituelles.
• Avoir le désir de se lever, de s’asseoir ou de rester simplement là, sans entraîner d’implications et de tensions musculaires, en restant un être perceptif. Le professeur sera là pour éviter que la personne ne reproduise ses tensions au moment du désir de l’action.
• Lorsque l’intention et le désir organisent le corps, entrer dans l’action en renouvelant notre désir. Souvent, lorsque la personne désire entrer en mouvement, toutes les tensions habituelles reviennent. Lorsque la personne s’approche d’un état sans tensions, alors le désir de mouvement s’estompe et disparaît. Le travail est alors d’expérimenter toutes ces qualités, et de passer de l’une à l’autre, pour pouvoir associer un désir d’action, dans un corps sans tensions. Quand il y a transformation, organisation, il y a sensation corporelle. A ce moment-là, il faut éviter de tomber dans la sensation ou l’observation, et renouveler le désir. C’est lui, le moteur, et c’est lui qui nous fera rester dans une dynamique. Nous pouvons partir d’une détente musculaire pour laisser vivre nos désirs d’action. Mais le processus semble fonctionner à double sens car le désir par son essence est également un principe unificateur qui apporte la détente. L’être désirant est présent au monde à l’instant présent, dans une réalité, sans observation de soi. Et lorsque la personne alimente son désir de mouvement, le professeur sent naître sous ses mains la puissance d’action et la totalité de l’être agissant, et non pas une simple organisation corporelle. C’est le désir dans un corps sans tensions qui nous donne une bonne utilisation de nous-mêmes. Peu importe la nature de notre désir. On peut désirer rester sur place, marcher, s’asseoir, que notre cheville soit mobile, aller acheter sa baguette pour le petit déjeuner, faire l’amour avec son copain ou sa copine... Peu importe! Le résultat sera le même. Du moment où il y a désir dans un corps sans tensions, il y a organisation selon le contrôle primaire. Nous arrivons facilement à la pensée en activité. Mettre un peu plus de désir dans ce que nous sommes en train de faire, et relâcher nos plus grosses tensions et voilà que nous faisons un pas considérable vers une meilleure organisation psychophysique, une meilleure utilisation de nous-même. " La volonté et le désir représentent l’aspect supérieur et l’aspect inférieur d’une seule et même chose, aussi importe-t-il que les canaux soient purs." A. Blavatsky. La qualité du désir influe sur notre organisation, notre fonctionnement et l’utilisation de nous même. Alors, quoi de plus normal que cette personne qui me dit: " Mais moi, mes tensions, celles que j’ai dans la vie de tous les jours, elles disparaissent dès que je peins ou que je suis sur scène." Cette personne étant animée d’un désir et d’un plaisir particulier lorsqu’elle peint ou joue, ne peut retrouver la même stimulation dans le quotidien. Quoi de plus normal que la personne amoureuse, pleine de désir, se révèle légère, pleine d’aisance et de présence. Quoi de plus normal que les enfants soient en général bien coordonnés, vifs, dynamiques, curieux, se permettant des chutes qui ne pardonneraient pas à un âge plus avancé, eux dont la grande majorité des actes sont mûs par le plaisir et le désir. La perte des désirs (enfant ou adulte) conduirait donc à la perte d’une bonne organisation psychophysique, celle qui permet l’exploitation de tous les potentiels, celle qui conduit à la réussite. Cela ouvre un large débat sur l’éducation des enfants, et la prise en considération de leurs désirs. Comment éduquer sans brimer l’essence du désir? D’autre part, quoi de plus normal, qu’à la génération "Bof", celle qui ne choisit pas, qui n’a pas envie, corresponde un physique écroulé et affaissé. Sans pratiquer aucune technique, sans démarche particulière, de façon inconsciente, certains individus peuvent passer, selon les événements ou les moments de leur vie d’une utilisation de soi défectueuse à une utilisation satisfaisante. Il me semble important de comprendre quels sont les processus mis en route spontanément qui agissent de façon inconsciente. (A l’évidence le désir est l’un de ces processus). Ceci pour créer les liens entre la théorie, la pratique et le vécu de chaque personne, et pour enrichir l’enseignement.
DESIR ET INTENTION
Certains diront pourquoi ne pas parler d’intention puisque c’est ce que faisait Matthias Alexander lorsqu’il demandait à la personne d’avoir l’intention de s’asseoir, sans le faire, pendant qu’il la guidait avec ses mains. La plupart du temps il m’apparaît nettement, que la notion de désir éveille chez la personne quelque chose de beaucoup plus vivant, de beaucoup plus engagée que l’intention. On peut le sentir sous ses doigts. Selon notre façon d’aborder les choses, une situation de "dépendance" peut naître entre la personne et le professeur. La personne attend quelque chose, elle se remet entre les mains du professeur. Si la personne désire entrer en action, elle est active, elle est maître de sa décision; autonome, engagée, et en accord avec elle-même. Le professeur l’amène seulement à agir autrement, à exécuter son action différemment.
DESIR ET "WHISPERED "AH"
( le "A chuchoté") En appliquant cette notion de désir à ma propre pratique de la Technique Alexander, je me suis aperçue que cela me conduisait sur le même chemin que le sourire intérieur qu’Alexander conseille dans le " A chuchoté ".( Le " A chuchoté "qui consiste à joindre , sur le devant, les dents de la mâchoire supérieure avec celles de la mâchoire inférieure,à avoir un sourire intérieur( une pensée agréable), à laisser la mâchoire s’ouvrir sans effort musculaire, et à laisser sortir un souffle produisant un "A", ensuite, la machoire se referme et l’air entre de lui-même dans la bouche.). Il est étonnant de voir que le sourire intérieur est une indication qui n’apparaît que dans le "A chuchoté". Nulle part ailleurs dans la démarche de M. Alexander il n’est question de cet état, de cette pensée qui nous fait plaisir. D’autre part, si Alexander pensait que le "A chuchoté" était une des choses les plus importantes à faire, c’est bien que cela présentait un intérêt complet pour le contrôle primaire. Or, vu le rôle que joue le désir dans la qualité de l’organisation de l’être et de son unification, je pense que ce petit sourire intérieur glissé dans le "Whisper A" est beaucoup plus important qu’on ne le pense, qu’il joue un rôle déterminant dans le rétablissement du contrôle primaire.
L’UNITE PSYCHOPHYSIQUE
Toute personne "s’utilise". Chaque personne a un certain mode de fonctionnement dans chaque acte de sa vie; lorsqu’il s’asseoit, marche, parle, court, lit... Ce fonctionnement peut être libre, naturel et harmonieux, ou défectueux, entrainant ainsi des douleurs, des tensions, physiques ou psychiques. La personne qui a conservé un bon fonctionnement originel, c’est à dire celui pour lequel nous sommes conçus, celui que nous possédons très jeune enfant, aura un bel alignement du dos, ses gestes seront libres et gracieux. Mais ce n’est pas tout. Ses actes physiques, puissants ou légers, vifs ou lents, seront exécutés facilement, sans tensions ni douleurs. La personne réussira dans les apprentissages physiques mais aussi intellectuels, elle saura s’adapter facilement, sera ouverte et établira une bonne relation aux autres. Elle sera à sa place, et en contact avec son environnement. Malheureusement, peu de personnes gardent ce fonctionnement intact. Comment éviter de le perdre? Comment le retrouver? Bien rares ceux qui y ont été éduqués! Toujours est-il que ce fonctionnement est toujours présent en eux, mais qu’il a été étouffé, parasité, par des pressions de la vie, par des peurs, des accidents,( même bénins comme une entorse à une cheville ou un poignet), par le stress, par trop d’heures passées assis, le manque de contact avec l’ environnement... La personne souffrira alors de maux physiques ( mal de dos, de genoux...), de tensions et malaises physiques mais aussi psychiques (tendance dépressive, timidité, bégaiement, mal dans sa peau, problème de communication...) La vie sera devenue moins facile, parcourue par des embûches plus ou moins graves. Le professeur de technique Alexander propose une méthode, une démarche, une éducation, pour retrouver et conserver ce fonctionnement originel; libre, naturel et harmonieux, permettant à chaque personne de vivre selon son plein potentiel physique et psychique. Une particularité de cette méthode est de guider la personne au travers d’activités quotidiennes, comme marcher, s’asseoir ou rester assis, écrire, porter un enfant..et au travers d’activités professionnelles, comme danser, jouer d’un instrument, chanter, porter du poids, taper sur un clavier d’ordinateur... La connaissance qui en résulte n’est pas une séries d’exercices, mais des repères personnels d’ attitudes bénéfiques, applicables dans la vie de tous les jours.
Au sujet de l’auteur
Cathy Bard
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