Ne pas faire

2011-2025

Inhibition(s)

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Ne-pas-faire est le geste premier du danser. C’est un geste propitiatoire : comme les Danses de la Pluie, comme les Danses des Morts ; c’est un geste qui a vocation à faire se lever les conflits. Rester neutre, se faire non-violent (ne pas infliger de mouvements contraires au déjà-présent), pour que puissent apparaître les mouvements déjà à l’œuvre.
Or qu’est-ce qui apparaît sur le terrain quand on n’y agit pas ?
Revenons à Beachy Head, le lieu où Catherine Wood rêve de rouler. Qu’est-ce qui apparaît sur ce terrain, avant l’action, avant la marche, avant la roulade ? Ce qui apparaît, c’est un fourmillement de potentiels d’engagement, une explosion de relations. L’écopsychologue de la perception James Jerome Gibson parle à leur propos d’affordances ou comme on traduit souvent en français d’« invites » (Gibson [1979] 2014). Gibson en vient à ce concept à l’occasion d’un dialogue avec les théories classiques de la perception, et en particulier avec l’empirisme, qui se demandent de quoi est constituée à la perception : quels en sont les éléments fondamentaux ? Une réponse classique à cette question consiste à distinguer des qualités premières et des qualités secondaires : il y aurait des « sensations pures » (de couleur, de son, de goût… plus ou moins séparées, donc, selon les organes sensoriels) qui seraient immédiatement perçues, et qui ne seraient qu’ensuite (mais très rapidement) organisées par le sujet sentant en fonction de son histoire, de sa mémoire, et de ses a priori biologiques. Gibson, à cette conception somme toute suffisamment répandue pour être assimilée au sens commun, objecte qu’une meilleure description (et de meilleurs résultats expérimentaux—Gibson est notamment très impliqué dans des questions savantes d’aéronautique et de pilotage) sont obtenus si l’on pense la perception comme d’abord et avant toute chose une question d’intrications motrices : avant toute analyse possible en couleurs, formes, sons, avant le plateau brun et lisse qui forme la surface de la table, et avant, bien avant, que je vois en fait une table, ce qui m’apparaît c’est une invocation à-m’asseoir, à-écrire, à-grimper, à- me-cacher-dessous. L’environnement est une symphonie d’appels muets qui s’adressent anonymement à nous, une mélodie d’actions possibles dans lesquelles nous nous insérons.
Traduire affordance par « invite », c’est la faire pencher du côté d’une certaine politesse des choses à notre égard : elles nous inviteraient à nous comporter de telle ou telle manière, montreraient des attitudes favorables ou défavorables, susceptibles de nous encapaciter à agir de telle ou telle manière. Pourtant, to afford en anglais est plus fort : « permettre » ou « se permettre ». Nos environnements font plus que simplement nous inviter poliment à agir : elles nous autorisent, nous permettent voire en un certain sens nous commandent. Les études sur les facteurs extralégaux qui entrent dans la décision des jurys aux États-Unis fournissent un exemple fameux d’un tel décentrement : à la question de savoir ce qui jouait le rôle le plus déterminant dans la clémence ou dans la sévérité d’une décision, des psychologues expérimentaux ingénieux ont révélé qu’aux côtés des facteurs individuels et sociaux, tels que classe, race, genre…, les facteurs environnementaux, tels que la dureté des sièges ou la qualité des repas, jouaient des rôles déterminants (Akomolafe 2020). Qui, du siège ou de l’humain, prend la décision ? Poser la question ainsi, c’est déjà se placer du point de vue de leur séparation, quand l’enjeu serait précisément d’apprendre à penser que c’est plutôt une sorte de centaure chaisehumain qui prend la décision, ou plutôt que l’humain n’est pas séparable des meubles dont il s’entoure et qui participent à ce que cela signifie pour lui de prendre une décision.
Emma Bigé « Mouvementements« 

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Anatomie d’une décision, Ghost éditions

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Author: Lapi (i.e. Pires da Silva, Luiz Antônio)
Title: Cordel Urbano
Publisher: Ouvidor
Language: Portuguese
City: Rio de Janeiro
Year: 1974
Pages: 56-60
Format: 13 cm x 18 cm
Description : Luiz Antônio Pires, plus connu sous le pseudonyme de Lapi, a publié ses premiers dessins dans le journal disparu O Jornal, édité par les Diários Associados. Il a également travaillé pour le Jornal do Brasil, collaboré avec les publications communistes Pasquim et Adiante, et créé, en 1973, Cordel Urbano, un livret de la taille de ces petits tracts en cordel, en un peu plus épais, mais dont la fonction était identique. Lapi était le chef de file du projet de dépollution urbaine à Rio, collaborant à des peintures dans la favela de Rocinha, Morro Dona Marta, à l’entrée du Tunnel Velho, à Copacabana, et à l’hôpital Pinel. Lapi est décédé à 60 ans d’une crise cardiaque à Rio de Janeiro.
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