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performance Novembre 2017, La LLoba, Rodez
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CHUTE,
UNE TRANSCRIPTION
J’examine le passage du haut vers le bas.
J’observe les différentes étapes du passage, de la petite danse en position debout, aux sauts liés de la marche, jusqu’aux descentes et aux plongeons sur d’autres corps.
Avec l’expérience, j’en suis venu à tomber en adaptant mon corps aux diverses variables que sont la distance, la position et la direction, et à sentir intuitivement quelle partie de mon corps absorbera d’abord l’impact.
La première partie de mon corps qui touche le sol, je peux l’utiliser comme levier. En me prolongeant en elle, je peux unifier mes membres et mon torse pour préparer une séquence dans laquelle l’énergie de la chute et mon poids seront transmis au plancher. Durant le bref moment de liberté que dure la chute, mon corps peut transfonner un accident soudain en une descente contrôlée.
Le résultat de tous ces changements dans l’orientation spatiale et kinesthésique en si peu de temps m’a amené à percevoir l’espace comme étant sphérique. Cette sphère est constituée d’une accumulation d’images provenant de plusieurs sens, notamment de la vue. Comme si le fait de regarder rapidement dans toutes les directions me permettait d’imaginer ce que je ressentirais si toute la surface de mon corps était recouverte d’ un organe visuel, plutôt que de peau.
La peau est la meilleure source d’images, parce qu’elle travaille dans toutes les directions à la fois. Si on pouvait couper tout contact cutané, on s’en apercevrait bien plus. Mais la peau travaille le plus souvent de façon mécanique. La conscience est alertée si la surface du corps reçoit des stimulations inhabituelles, mais la plupart du temps on ne remarque pas le frottement de ses vêtements ou son poids sur une chaise.
En danse Contact toutefois, je me sens « suspendu à ma peau ». Et je dépends d’elle pour me protéger, pour me prévenir, pour me transmettre les informations auxquelles je réponds.
Ce que nous regardons maintenant date de 1972; il s’agit d’une séance d’entraînement pour le première performance en Contact Improvisation donnée à la John Weber Gallery. Ce jour-là, il faisait chaud à New York, mais tout le monde semblait prêt.
Que peut-on apprendre en attrapant un corps au vol? L’importance de la synchronisation. Que l’on peut s’y préparer de manière appropriée. Que comprendre la technique avec sa tête ou avec son corps sont deux choses bien différentes. Que l’on peut prolonger le momentum et l’utiliser une fois l’impact initial absorbé ou détourné. Ou que la juxtaposition apparemment impossible
d’une petite femme attrapant un grand corps d’homme offre des possibilités, même si la plupart d’entre elles aboutissent au sol. Mais il est raisonnable qu’il en soit ainsi.
Il est dangereux de tenter d’arrêter ou de retenir un poids trop grand. Ce qu ‘il faut découvrir, c ‘est la façon la plus simple de procéder.
Nous croyons que dans un état de confiance envers le corps et la terre, nous pourrions apprendre à maîtriser les forces en jeu dans les interactions physiques entre deux personnes, qui donnent à chacune la liberté d’improviser.
Le premier instant de toute chute est crucial. C’est à ce moment que l’on peut se préparer à rouler. Si l’on ne fait pas cette préparation au premier moment, la chute se fait sans être orientée par celle ou celui qui tombe.
Que peut faire un corps pour se protéger? Le fait de m’attendre à quelque chose qui ne se produira pas représente un obstacle entre moi et les circonstances dans lesquelles évolue mon corps.
Mon souvenir des jugements passés me dit qu’il n’est pas sûr de préjuger des choses. Et la mémoire ne peut fonctionner de façon consciente parce qu’à cette vitesse je ne peux me fier à la pensée pour assurer ma sécurité.
Si la pensée est trop lente » est-il utile de maintenir l’esprit dans un état d’ouverture? Il semble que oui.
Je me rappelle avoir décidé d’apprendre les techniques de chute, qui sont devenues la mémoire de mes muscles. J’ai pensé que mes chances de survie étaient plus grandes si je maîtrisais ces techniques -ce qui représente une évaluation des choses à venir. En ce sens, les jugements portés à l’avance et la mémoire jouent un rôle dans ce qui se produit maintenant.
Bien que les adultes et les enfants tombent à la même vitesse, les adultes sont plus susceptibles de se blesser parce que leur masse est plus grande en proportion de leur force structurale. Il est possible d’élaborer des réponses pour faire face à ce problème en toute sécurité. Les glissades, les roulades et les atterrissages sur toute la surface du corps, qui répartissent l’ impact sur une plus grande surface musculaire possible, sont aussi utiles en Contact Improvisation que dans les arts martiaux.
Je suis préoccupé par les possibilités d’orienter le momentum de la chute de façon à éviter les collisions avec le plancher ou avec son partenaire.
Un corps peut endurer cela des dizaines d’années. Par contre, je ne veux pas m’infliger de blessures aux articulations. D’autre part, je ne dois pas orienter ma démarche en fonction de l’échec. Je ne peux exclure la peur.
Les chutes bien réalisées deviennent souvent des glissades ou des roulades, transformant le momentum vertical en déplacement horizontal.
Je pourrais, au dernier instant, trouver chez mon partenaire un levier qui me permette d’atterrir sur mes deux pieds. Ma chute pourrait être orientée de façon
à former une spirale autour du corps de mon partenaire. Ainsi, une chute amorcée vers le bas peut devenir un cercle décrit autour dé mon partenaire et son momentum, ou être utilisée pour regagner un point d’appui élevé.
L’énergie ou les tensions engendrées par l’état de contradiction inhibent la sensation du mouvement subtil, masquant ainsi la gravité. On peut être détendu, mais jamais mou. En explorant le léger mouvement de l’alignement squelettique en position debout (la petite danse), je peux sentir des chutes subtiles de certaines parties du squelette.
Une chose est certaine. J’ai peu de souvenirs, musculaires ou mentaux, de ce que j’ai dansé. Les mouvements que mon corps exécute quand j’improvise ne s’enregistrent pas consciemment et je ne peux les reconstituer. Je me sens transparent dans l’action. Je n’en suis la cause que dans une faible mesure, et je n’en conserve aucune trace.
Texte publié in Contact Quarterly, Volume 7, 3-4, 1982, sous le titre « Chute transcript ».